Outre l’âge (de 18 à 29 ans) et le sexe (masculin), les jeunes qui séjournent à l’Auberge du coeur le Tournant ont ceci en commun qu’ils sont sans domicile fixe, c’est-à-dire sans abri.

En fait, la plupart de ces jeunes sont sans abri de façon cyclique. Les circonstances de leur vie font en sorte que, plus ou moins fréquemment selon les cas, ils se retrouvent à la rue. Ils n’ont pas encore rejoint les rangs des itinérants chroniques, mais leur situation est hautement préoccupante.

Derrière chacun des milliers de jeunes accueillis par l’Auberge du coeur le Tournant, il y a une histoire. Une histoire le plus souvent extrêmement douloureuse. Cassures familiales, violence, abus, abandon, toxicomanie ou alcoolisme du jeune ou de ses parents, placements répétés en centre d’accueil, toutes ces situations représentent des chapitres fréquemment lus lors de l’accueil des jeunes.

Ainsi, au moment où ces jeunes devraient commencer à se tailler une place dans le monde adulte, leur héritage socio-économique et psychologique, conjugué à un contexte de mutations sociales (famille, école et emploi), les pousse vers la marge. Cette situation de rupture a pour corollaires la pauvreté, la solitude et le mal de vivre. Au total, ils se sentent exclus et cultivent parfois l’exclusion comme un bras d’honneur lancé à cette société qui semble leur refuser une place. La famille, l’école, le travail, ils n’en sont pas, ils n’en sont plus. Et pourtant, ils en rêvent!

« Soit que tu prends le choix de vivre, de t’impliquer comme il faut, ou tu subis, puis tu fais de la merde, puis tu te fais couper ton séjour. Moi je me dis que tous ceux qui l’ont vécu, ils sont comme les doigts de la main, puis ils sont tous attachés l’un à l’autre, puis ils se tiennent, puis ils se supportent. Tandis que ceux qui ont décidé de le subir bien là, on ne sait plus où ils sont, il y en a qui sont en dedans, il y en a qui sont disparus, il y en a qui sont dans la merde, puis il y en a d’autres qui sont dans la rue encore… Moi j’ai décidé de le vivre, puis je me suis intégré dans ce cercle-là, c’est un nouveau cercle de monde que je n’aurais jamais été porté à aller voir avant, mais je suis vraiment content de les avoir. »

Francois, un jeune ayant participé à la recherche « Consolidation des pratiques communautaires d’affiliation sociale auprès des jeunes sans-abri du Québec. » Les pratiques d’affiliation dans les Auberges du coeur, recherche-action menée en 2005-2006 par Jean-François René, Michelle Duval, Geneviève Cloutier et Annie Pontbriand.

Dès le départ, l’Auberge du coeur le Tournant s’est voulu une main tendue aux jeunes sans abri; 40 ans plus tard, cela est toujours vrai.

La rue ne peut ni ne doit avoir le dernier mot. C’était notre défi hier; ça l’est toujours aujourd’hui.

Les jeunes qui y entrent s'en sortent

La question nous est régulièrement posée. Ce souci d’efficacité est bien sûr légitime. D’ailleurs, chaque année, nous réévaluons nos pratiques afin de nous assurer qu’elles offrent toujours aux jeunes les plus grandes chances de progrès. Cette préoccupation a toutefois des limites lorsqu’il s’agit d’aider quelqu’un à trouver le chemin du mieux-être.

D’ailleurs, qui considérerait l’éducation de ses enfants sous le seul angle de l’investissement et du rendement? Il y a de l’énergie, du temps à investir pour et avec eux simplement parce qu’il le faut pour que leur vie s’épanouisse. De plus, qui sait quand germera ce qui a été semé? L’Auberge du coeur le Tournant tente en fait de reprendre le fil, au nom de la communauté, là où l’histoire familiale et sociale a raté pour ces jeunes. C’est à l’échelle des petits pas qu’il faut mesurer le chemin parcouru. Les témoignages des jeunes qui reviennent après leur séjour, parfois après plusieurs années, constituent toutefois pour nous une véritable attestation de la pertinence et de l’importance de notre action.